À partir de 2014, Airbus a mis au jour un système massif de corruption au sein du groupe. À l’issue d’une longue enquête interne, le groupe informe la justice britannique (SFO) et la COFACE en France. Cette dernière transmet au Parquet National Financier (PNF). Promulguée après la révélation des faits, en 2017, quel sera l’impact de la Loi Sapin 2 pour Airbus ?NB : Cet article a été initialement publié en octobre 2017. Vous trouverez en fin d’article une mise à jour présentant la Convention Judiciaire d’Intérêt Public validée au titre de la Loi Sapin 2 entre Airbus et le PNF… Une tendance bien anticipée par Ethics & Compliance ! 

 

DES COMMISSIONS VERSÉES À DES INTERMÉDIAIRES…

Commençons par quelques informations de contexte pour bien comprendre l’importance de la jurisprudence Airbus.

Comme vous le savez, Airbus est un constructeur aéronautique européen, qui emploie 133 000 personnes. Le groupe affiche un chiffre d’affaires annuel de 66 milliards d’euros. Son principal concurrent est l’américain Boeing.

Mais en 2014, un rapport d’audit interne remis à la direction générale du Groupe crée un choc.

En effet, il fait état de soupçons de corruption sur des contrats de vente d’avions de ligne. Il serait ici question de plusieurs millions d’euros de commissions occultes versées à des intermédiaires.

Et les déclarations relatives à ces intermédiaires seraient « incomplètes » (absence de noms et rémunérations).

La situation ainsi révélée est contraire aux principes de due diligence (connaissance de ses clients/fournisseurs/intermédiaires).

Des due diligences sont en effet requises par les principales lois relatives à la lutte contre la corruption auxquelles est soumise à cette date l’entreprise du fait de ses activités et présence internationales, à savoir les :

 

LE CHOIX DE LA COOPÉRATION AVEC LES AUTORITÉS JUDICIAIRES

Voyons maintenant comment a réagi la direction d’Airbus. Dès la découverte des faits, Tom Enders (CEO d’Airbus) prend l’initiative, avec le soutien de son conseil d’administration, de dénoncer ces pratiques au SFO britannique (Serious Fraud Office).

L’objectif est de négocier une amende permettant d’éviter un procès long, coûteux et au résultat aléatoire.

Il choisit donc le cadre du UKBA (UK Bribery Act), la loi britannique anti-corruption applicable depuis 2010 au Royaume-Uni. Les faits sont également signalés à la COFACE en France, qui transmet au Parquet National Financier (PNF).

A cette époque, aucune entreprise française n’a jamais été condamnée par les autorités judiciaires françaises pour faits de corruption à l’international.

Ce qui vaut à la France d’être accusée de laxisme depuis sa ratification de la Convention OCDE en 2000. Un décalage d’autant plus visible que plusieurs entreprises françaises ont été lourdement condamnées pour faits de corruption par la justice américaine.

C’est dans ce contexte que la loi Sapin II entre en vigueur en juillet 2017. Soit 1 an après le début de la coopération d’Airbus avec les autorités judiciaires anglaises et françaises.

Quel sera dès lors l’impact de la loi Sapin 2 pour Airbus ?

 

AVANT LA LOI SAPIN 2, AIRBUS OPTE POUR LE UKBA PLUTÔT QUE LE FCPA

La première raison pour choisir le cadre du UKBA est relativement simple.

Les contrats concernés par les soupçons de corruption ont été garantis par un pool d’agences de crédit avec comme leader l’UKEF (UK Export Finance). Cette agence est l’équivalent britannique de la Coface française.

Le UKBA est donc applicable au moins au titre de sa section 1 (verser des pots-de-vin) et de sa section 7 (défaut de prévention de la corruption par l’entreprise).

La deuxième raison est quant à elle plus stratégique.

En effet, il semblerait qu’Airbus ait appris que le DOJ (“Department of Justice” – Ministère de la Justice américain) disposait de suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête sur ces faits dans le cadre du FCPA (Foreign Corrupt Practice Act). Airbus était donc potentiellement exposé à une enquête du Ministère de la Justice de son principal concurrent (Boeing).

Le groupe risquait ainsi de rallonger la liste des précédentes amendes record pour des entreprises européennes. Siemens, Alstom, Technip ou encore BNP Paribas ont eu à subir ces enquêtes du DOJ avec des conséquences extrêmement lourdes…

Ne pouvant être jugé deux fois pour les mêmes faits, Airbus a donc fait le choix de la loi qui lui semble la moins critique pour son avenir.

 

CAS AIRBUS : LA LOI SAPIN 2 S’APPLIQUE-T-ELLE ?

L’entreprise Airbus a son siège en France. Elle emploie bien sûr plus de 500 personnes et affiche un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.

Le champ de la toute nouvelle Loi Sapin 2 lui serait donc applicable. Le cas est pour le moment traité par le Parquet National Financier. En attendant de savoir si et comment le PNF utilisera le nouvel arsenal législatif français, une vérité s’impose.

Le cas Airbus nous montre qu’aujourd’hui les grands groupes, quel que soit leur poids économique, ne sont plus épargnés par les lois anticorruption.

Il faut donc s’attendre à ce que la Loi Sapin 2 suive le même chemin que le FCPA (depuis 1977) et le UKBA (depuis 2010).

Les prochains mois seront décisifs.

 

DUE DILIGENCES : AU FAIT, QU’A OMIS DE FAIRE AIRBUS ?

Quelle est cette procédure de due diligences sur laquelle Airbus a montré des défaillances ?

La procédure d’évaluation des tiers consiste à effectuer une analyse préalable du tiers avec lequel l’entreprise va entrer en relation. L’objectif est de réduire les risques de corruption.

Ces tiers peuvent être un client, un fournisseur ou un intermédiaire.Pour réussir ses due diligences, l’entreprise doit obtenir un maximum d’informations. Noms, localisation, structure/organisation/actionnariat, réputation, capacité financière, etc …

Les informations ainsi rassemblées et le rapport d’analyse doivent être formalisés et archivés.

En cas de doute ou d’absence d’informations, l’entreprise doit en tirer les conséquences sur les suites de ses relations avec ce tiers. Et ce, afin de ne pas s’exposer et de se conformer aux différentes lois internationales anticorruption.

 

DERNIÈRE MINUTE : La CJIP conclue en janvier 2020

Nous vous l’avions annoncé dans cet article d’octobre 2017 !

S’appuyant sur la toute nouvelle Loi Sapin II, le Parquet National Financier a pour la première fois joué un rôle moteur dans une enquête pour faits de corruption à l’international visant une entreprise française.

Le volet français du dossier a été clôturé en utilisant la procédure de CJIP, venant en préciser les contours.

L’amende finalement infligée à Airbus, d’un montant de 3,6 Md€, en janvier 2020 se décompose comme suit : 2,1Md€ pour la justice française, 984M€ pour le SFO britannique, 526M€ pour le DOJ américain.

Vous avez un projet de formation de vos collaborateurs à la prévention de la corruption ? Contactez-vous pour un échange sur votre projet ! 

Source : Site Airbus Groupe / Article Le Figaro 30/10 “Airbus: Tom Enders cherche à sortir par le haut” / Agence Française Anticorruption “CJIP conclue entre le procureur de la République financier près le tribunal de Paris et la société Airbus SE signée le 17 novembre 2022” Crédit photos : Pexel – Tookapic